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ISSEA
2015
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Ce texte est tiré du livre de Jacques ATTALI « Devenir soi » paru aux éditions Arthème Fayard en 2014.
Il devra être résumé en 250 mots (+ou- 10%). Le nombre de mots sera indiqué.
Il sera tenu compte de la ponctuation et de la présentation de votre écrit.

Dans un monde aujourd’hui insupportable, et qui, bientôt le sera plus encore pour beaucoup, il n’y a rien à attendre de personne. Il est temps pour chacun de se prendre en main. Ne vous contentez pas de réclamer une allocation ou une protection de l’Etat, arrachez-vous à la routine, aux habitudes, au destin tout tracé, à une vie choisie par d’autres. Choisissez votre vie !

Où que vous soyez dans le monde, homme ou femme, qui que vous soyez dans la société, agissez comme si vous n’attendiez plus rien des gens de pouvoir ; comme si rien ne vous était impossible. Ne vous résignez pas ! Ne vous bornez pas à dénoncer l’«horreur économique» du monde, ne vous contentez pas de vous indigner : l’une et l’autre attitude ne sont que des formes de lâcheté mondaine.

Pour vous débrouiller, pour réussir votre propre vie, ayez confiance en vous. Respectez-vous. Osez penser que tout vous est ouvert. Ayez le courage de vous remettre en question, de bousculer l’ordre établi, d’entreprendre et de considérer votre vie comme la plus belle des aventures. Pour trouver la force de le faire, réfléchissez sur toutes les instances qui conditionnent votre avenir.

Vous verrez alors que vous êtes beaucoup plus libre que vous ne le croyez ; que,qui que vous soyez, quel que soit votre âge, quelles que soient vos ressources matérielles, votre sexe, votre origine et votre situation sociales, vous pouvez affronter des difficultés qui vous paraissent insurmontables, changer radicalement votre destin, celui de ceux qui vous aiment et que vous aimez, et celui des générations à venir, dont dépendent votre bien-être et votre sécurité.

Les femmes en sont particulièrement empêchées. Si elles y réussissent, elles bouleverseront le monde.

Ce dont je parle ici n’est significativement désigné par aucun mot en français, ni dans aucune autre langue que je connaisse. Il ne s’agit pas de résistance ni de résilience, ni de libération ni de désaliénation, ni de pleine conscience. Je proposerai le mot «devenir-soi»

Le monde est dangereux et le sera de plus en plus : la violence rôde partout, elle se déchaîne en maints endroits au nom des pires intolérances et des idéologies les plus obscures ; des guerres de religion se rallument ; des sécessions se multiplient ; des différences ne se nourrissent plus les unes des autres ; l’environnement se dégrade ; la nourriture est de plus en plus polluée ; l’emploi disparaît ; les classes moyennes se défont ; la croissance ne permet pas de répondre aux besoins d’une population urbaine de plus en plus dense et solitaire ; les inégalités se creusent entre quelques riches et un nombre immense de pauvres. L’un après l’autre, tous les filets de sécurité se déchirent.

La croissance n’étant plus au rendez-vous, pour maintenir leur niveau de vie menacé de toutes parts, Etats, entreprises, particuliers vivent de plus en plus à crédit, au crochet des générations passées dont ils pillent l’héritage, et des générations futures dont ils dégradent le patrimoine.

Face à ces périls, la plupart des hommes politiques et des dirigeants d’entreprise, presque tous préoccupés par leur seul présent se contentent de gérer au mieux le quotidien et de colmater les brèches ; les politiciens ne cherchent qu’à améliorer leur popularité auprès des électeurs par des décisions démagogiques ; les chefs d’entreprises auprès des actionnaires par la recherche frénétique de profits trimestriels.

Tous oublient que vivants d’aujourd’hui auraient pourtant un intérêt égoïste à penser au long terme, soit parce qu’ils font partie des générations passées (plus d’un tiers de l’humanité actuelle était déjà sur terre il y a cinquante ans), soit parce qu’ils font déjà partie des générations futures (plus des deux tiers de nos contemporains seront encore vivants dans trente ans).

En France en particulier, les dirigeants successifs ont laissé le pays s’enfoncer depuis deux décennies dans un lent déclin, un engourdissement qui pourrait devenir mortel. Lassé d’avoir dit, écrit et répété qu’il est urgent de réformer la gouvernances du monde, de l’Europe et de mon pays ; lassé d’exposer le détail de toutes les mesures urgentes à prendre pour éviter les catastrophes écologiques, retrouver une croissance durable et juste, fournir à chacun les moyens de vivre pleinement sa liberté sans la refuser aux autres ; lassé d’entendre les hommes et les femmes de pouvoir, de tout parti, de tout pays, me dire en confidence qu’ils partagent avec moi la diagnostique et la  prescription, qu’ils savent ce qu’il faudrait faire, mais que ce n’est pas le moment de le mettre en œuvre à cause de la crise, ou de l’absence de crise, ou de leur popularité ou de leur impopularité ; lassé de les voir se réfugier derrière leur scepticisme, leur cynisme, leur narcissisme, leur autosatisfaction, leur égoïsme, leur avidité, leur pusillanimité, leur orgueil ; enragé de les voir procrastiner en rois fainéants soucieux de leur seul intérêt , je voudrais désormais dire à chacun d’entre vous : n’attendez plus rien de personne, faites un nouveau pari à la Pascal !

Ce grand génie français avait proposé, en son temps, de faire le pari de croire en Dieu indépendamment de toute révélation ; de croire sans preuve ; parce que, expliquait-il, nul n’a rien à y perdre : s’Il n’existe pas, on ne sera pas puni d’y avoir cru ; s’Il existe, on sera peut-être récompensé de l’avoir honoré.

Je propose d’agir de même dans le monde d’aujourd’hui : faire le pari de prendre le pouvoir sur sa propre vie, de se trouver, indépendamment de l’hypothétique action des autres. Parce qu’en toute hypothèse on a tout à y gagner.

En effet, de deux choses l’une :

Soit, comme c’est le plus probable, les puissants, publics et privés ne seront pas à la hauteur des enjeux ; alors chacun aura agi à temps pour suppléer pour lui-même au moins à leur impuissance.

Soit, au contraire, les hommes de pouvoir se décideront enfin à affronter les enjeux écologiques, éthiques, politiques, sociaux et économiques du siècle. Là encore, de deux choses l’une : soit ils échoueront, ce qui ramènera au cas précédent ; soit ils réussiront, et nul n’aura rien perdu à s’inscrire au mieux, par son initiative personnelle, dans l’abondance retrouvée.

Certes, cette liberté, but ultime, n’est pas et ne sera jamais illimitée : le même Blaise Pascal nous rappelle que notre vie se déroule à l’intérieur d’une prison, déterminée par les conditions de notre naissance et les exigences de notre mort. A nous d’en écarter les murs. C’est encore lui qui compare la liberté de tout homme avec celle du paysan : sa récolte dépend de son travail autant que de la pluie et de la fertilité de son champ qui lui échappent.

Faire un tel pari ne va pas de soi : bien des gens ne se résignent à être toute leur vie que ce que les autres ont décidé qu’ils seront ; ils mènent l’existence que les autres ou les hasards, ont tracée pour eux là où ils sont nés. Par peur. Par paresse. Par passivité. Ils survivent au mieux, trouvant parfois de minces bonheurs dans les anecdotes de leurs destins.

D’autres croient y échapper en s’indignant ; ils critiquent, manifestent, protestent. Jamais ils ne transforment leur indignation en actes. Ni pour réussir leur propre vie, ni pour améliorer celle d’autres. Où qu’ils soient, ils ne font que se donner bonne conscience et s’inventer d’honorables sujets de conversation.

D’autres, enfin, refusent le destin que la société, la religion, la famille, la classe sociale, la nation où ils sont nés, leurs moyens matériels, leur sexe, leur patrimoine génétique prétendent choisir pour eux ; ils s’arrachent aux déterminismes de toute nature ; ils se choisissent à leur gré, sans obéir à leurs aînés, des études, un métier, un physique, une orientation sexuelle, une langue, un conjoint, un combat, un idéal, une éthique. Ils quittent parfois leur famille, leur pays. Ils cherchent en quoi ils sont uniques. Ils se forgent une utopie et cherchent à la réaliser. Ou plus modestement, ils décident de se prendre en main et de ne plus rien attendre de personne : ni emploi, ni épanouissement. Ils tentent alors de devenir eux-mêmes. Ils ne réussiront certes pas tous. Au moins auront-ils été libres en essayant.

Une telle recommandation n’est évidemment pas facile à suivre : pendant des millénaires, au nom des dieux, princes et prêtres ont imposé leur pouvoir aux hommes qui ont à leur tour, imposé leur caprices aux femmes et aux enfants. Aujourd’hui encore, le sort de presque tous les humains –surtout les femmes et les enfants– dépendent de forces écrasantes, visibles ou invisibles, matérielles ou immatérielles, économiques ou idéologiques, financières ou politiques, religieuses, militaires ou climatiques ; du bon vouloir des autres, de leurs désirs, de leur folie, de leur violence ou de leur indifférence.

Chacun, même parmi les classes moyennes des pays riches, peut penser qu’il n’a aucun pouvoir sur l’environnement, la paix, la guerre, la croissance, l’emploi, l’évolution du climat et celle des technologies ; donc aucun pouvoir sur l’essentiel de ce qui fait sa propre vie. Et de fait, bien des gens ne réaliseront pas leurs rêves. Ils ne sont pas –et ne seront pas– les artistes, les médecins qu’ils auraient rêvés d’être.

Et pourtant, presque tous les humains, hommes et femmes, même les plus faibles, les plus démunis, les plus écrasés par les diverses forces qui se disputent le monde, ont la capacité de prendre le pouvoir sur leur propre vie. S’ils ressentent le besoin vital de se libérer ; s’ils apprennent à ne pas se résigner, à résister, à trouver dans leur vie intérieure et dans l’exercice de leur raison une façon de se libérer des déterminismes qui les asservissent.

Bien des évènements peuvent provoquer une telle prise de conscience : une situation matérielle améliorée ou dégradée ; le sentiment de sa mort prochaine ou d’une santé florissante ; une réflexion sereine ou une crise existentielle ; un profond chagrin ou un accès de bonheur ; un moment de solitude ou un coup de foudre ; le désir de soi ou le besoin de l’Autre dont la présence est déjà rupture à soi.

Il s’agit là bien plus que de résilience ; il n’y est pas seulement question de survivre aux crises, ni de se tirer d’affaire dans la vie quotidienne, mais de se trouver, de réussir sa vie, de découvrir la raison de sa présence sur cette terre pour « devenir-soi » et trouver le courage de se débrouiller par soi-même.

De cet arrachement aux autres, de cette prise de pouvoir de chacun sur soi-même, sortiront des cohortes de créateurs, dans leur vie privée ou leur activité professionnelle ; ils vivront ce qu’ils sont et créeront pour eux-mêmes et pour le reste de l’humanité. S’ils éclosent en grand nombre, s’ils en aident beaucoup d’autres à devenir soi, les crises seront bientôt surmontées .../...

Les entrepreneurs privés

D’autres ont pris le parti de se dégager de la vie prévue pour eux en se lançant dans une autre forme de création : celle d’une entreprise.

Les mécanismes qui conduisent un homme ou une femme à vouloir, sans en être l’héritier, créer une entreprise plutôt que d’être simple employé sont tout aussi mystérieux : un hasard, souvent ; une nécessité le plus souvent ; une énergie particulière, toujours. Rarement le choix d’un domaine particulier. En général, juste le besoin d’être son propre maître ; le désir de faire fortune aussi.

Sans revenir aux marchands de Bruges du XIVème siècle ou aux armateurs vénitiens du XVème, voici quelques exemples qui démontrent que la création d’entreprise est à la portée de qui le veut et le décide.

Ainsi de Thomas Edison, né dans une très modeste famille immigrée en 1847 dans l’Ohio, atteint d’une surdité quasi-totale à l’âge de treize ans qui débute en tant qu’employé dans les trains du Michigan. Rien ne le prédispose à la création d’entreprise. Pourtant résolu à prendre le pouvoir sur sa vie, il n’accepte aucun métier qu’on lui propose. Passionné par les sciences physiques et la chimie, auxquelles il s’initie seul pour une large part, il met au point à vingt-deux ans un télégraphe automatique utile aux trains, puis fonde à vingt-neuf ans l’Edison Illuminating Company qui deviendra General Electric. Il ne cesse plus d’innover tout en développant sa firme : il invente le phonographe à trente ans et dépose en tout près de onze cents brevets, attirant auprès de lui nombre de jeunes ingénieurs, les incitant à créer à leur tour leurs propres entreprises.

.../... Ainsi d’Alizéta Ouédraogo, aujourd’hui femme la plus prospère de son pays, le Burkina Faso. Après avoir fait fortune dans le cuir au cours des années 1990, elle s’est lancée dans l’immobilier et les travaux publics. Elle a pris la tête de la Chambre de Commerce et d’Industrie de son pays en 2011.

Ainsi de Tilahun Alemu (Ethiopie), reconnue comme une des femmes les plus influentes d’Afrique par The Guardian en 2013, fondatrice en 2004 de SoleRebels, entreprise fabriquant des chaussures dont la semelle est faite à partir de pneus usagés. Ayant commencé dans un humble atelier à Addis-Abeba, la société emploie désormais plus d’une centaine de personnes et distribue ses produits dans une trentaine de pays.

.../... Ainsi de Takao Sasaki, au Japon, qui perd son emploi de salarié dans l’industrie des sushis à cause du Tsunami de 2011. Fort de vingt années d’expérience, il crée sa propre entreprise de sushis dans la région de Töhoku. Il emploie actuellement plus d’une dizaine de personnes.

.../... Tous et toutes, quelle que soit la taille de leur entreprise, «entrepreneurs de l’envie» ou «entrepreneurs de la survie», ont compris qu’il n’y a pas d’entreprise sans marché, ni de marchés sans clients satisfaits. Ce ne sont donc pas seulement des égoïstes intelligents, mais aussi des altruistes pour motifs rationnels, qui déploient de plus en plus d’efforts pour s’intéresser à leurs clients et fournisseurs à venir, autrement dit au bien-être des générations futures.