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Baccalauréat
Philosophie
A
2019
Correction
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Correction sujet l : La diversité culturelle est-elle source de conflit entre les hommes ?

I. Compréhension du sujet
Le sujet, libellé sous forme interrogative, convie le candidat à unis-tâches conceptuelle essentielles :
• Montrer en quoi la diversité culturelle peut alimenter les conflits entre les hommes ;
• Circonvenir à cette lecture négativiste de la diversité en indiquant en quoi elle serait plutôt source d’enrichissement mutuel ;
• En déduire, en terme de solution finale, comment dépasser les rapports souvent tendus entre les cultures pour construire une véritable société multiculturelle où triomphe le savoir vivre ensemble.

II Introduction
Définitions
Culture: ensemble des réalités matériels et spirituelles produites par l’homme. Elle renvoie plus précisément au mode de vie d’une société.
Diversité cultuelle : coprésence/ coexistence de plusieurs cultures dans un espace vital donné ;
Conflit : divergence, opposition, animosité, querelle, désaccord.
Identification du problème : valeur de la diversité culturale/ impact de la diversité culturelle sur le vivre ensemble. Il s’agit de faire le procès (en terme de passif et d’actif) de la diversité culturelle.
Construction de la problématique : La coexistence de plusieurs cultures devrait-elle nécessairement créer des désaccords entre les hommes ?
Faut-il appréhender la diversité culturelle comme un obstacle, un handicap au vivre ensemble ou alors, y voir, en revanche un appel à l’ouverture à l’autre, autant dire, un atout au triomphe du mieux vivre ensemble ?
III. Plan possible
Le sujet ainsi analysé nous permet d’envisager un plan ternaire déclinable de la manière suivante :
III.1 Thèse : La diversité culturelle, source a priori de conflits
A l'évidence, la pluralité/diversité des cultures a très- souvent été vite assimilée à un appel à la conflictualité. Ce qui pourrait justifier que la cohabitation de plusieurs groupes culturels soit évoquée comme source de la plupart de tensions sociales et des atteintes au vivre ensemble. Plusieurs arguments sont ainsi proposés :
Argument 1 : Les différences culturelles alimentent des différends sociaux sur la base des clivages « nous » - « eux ». Plus il existe ides cultures une société, plus le lien social se complexifie en se densifiant. La cohésion sociale, fruit d’une mutualisation des mœurs devient la chose la moins évidente. Chaque groupe culturel, mu par un égoïsme, s'engage, par rapport aux autres, dans un certain protectionnisme qui pousse ses membres à développer ce qu’on pourrait appeler des « mécanismes de défense » contre toute forme d’agression ou d’assimilation venant des autres. Le pouvoir devient plus difficile à partager et, la démographie aidant, les plus grands sont tentés d'exercer comme une dictature du nombre contre les plus petits; et cela se voit tant au plan politique qu’économique.
Désormais, différences riment avec divergences, particularismes et exclusion/rejet. Selon E. Mounier, dans Le personnalisme, « La vie de société estime guérilla permanente.» Ceci indique clairement que la cohabitation sociale se vit selon des rapports continuellement tendus et générées par les égoïsmes et les différences. -
Argument 2: La diversité est cause de la fragmentation sociale. La recherche du soutien des siens pousse à se détourner des autres pour se replier sur sa communauté d'appartenance. Selon Charles Taylor, «Une société fragmentée est celle dont les membres éprouvent de plus en plus de mal à s'identifier à leur collectivité politique en tant que communauté. ».
Arguments 3 : La diversité culturelle conduit à des crispations sur des questions identitaires, socioculturelles et ethniques (minorités, marginalisés, autochtomes, tribalisme, injustices, inégalités, etc...
Ainsi, constate Michel Tozzi, « Le lien politique et civique se dissout dans une crise plus globale du lien social et civil, tendant à associer citoyenneté et civilité, avec la montée de ce qu'on nomme précisément les incivilités, les violences urbaines, le sentiment d'insécurité. »
Argument 4 : Les différences conduisent à ce que G. Bourdieu appelait l’étiquetage des individus. La crise dite anglophone, qui sévit actuellement au Cameroun, et la dernière élection présidentielle ont permis de mesurer les difficultés que pose la cohabitation de plusieurs cultures dans notre pays. On assiste régulièrement aux appels au soulèvement des communautés contre d’autres, exacerbés par l’accaparement des structures de l’Etat par certaines communautés (État-tribu ou État-ethnie). Les étiquettes sont vite trouvées : hier, « eux » et « nous »; aujourd'hui: « tontinards » ou « sardinards » toujours est-il qu’on est logé et coincé dans une assignation péjorative et inquisitrice. « Quel malheur ou quel privilège d’être né ici ou là-bas » : on a les déchus d’un bord et les élus d'un autre bord. N'a-t-on pas souvent entendu certains, à tort ou à raison, parler du « pays organisateur » pour désigner ceux qui appartiennent au cercle restreint des décideurs « du moment» ? Voilà la triste réalité à laquelle a très souvent conduit la cohabitation des cultures. En fait, dit Montaigne dans Essais, « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ». Et ne rien arranger, ceux mêmes, qui donnent des leçons de morale, de civisme et de patriotisme ne semblent plus jouir de quelque légitimité pour le faire.
Argument 5 : Le pluralisme, lorsqu'il est mal harmonisé, pourrait constituer le terreau des replis identitaires et, par ricochet, un alibi du favoritisme qui génère toutes les figures d’égoïsme exposant ainsi les citoyens à diverses frustrations. Le grand chansonnier camerounais, Donny Elwood n'avait-il pas vu juste, lui qui chantait « mon frère est en haut, moi-même je suis en haut » ?
Au regard de ce qui précède, le socle culturel est toujours saisi comme la raison fondamentale des conflits sociaux et l’obstacle majeur à l'émergence de l’intégration nationale.
Transition : Toutefois, faudra-t-il toujours voir dans la diversité culturelle la pomme de discorde sociale contre laquelle il faut s'insurge ? La différence culturelle, bien gérée et bien maîtrisée, n’unit-elle pas plus qu'elle n’oppose ?
III.2 Antithèse : La positivité de la culturelle
Même si la diversité culturelle semble a priori s'apprécier sous le mode de la conflictualité, il n’est pas évident qu'elle ne soit en réalité que porteuse de conflits entre les hommes.
Argument 1 : L’absurdité de la hiérarchie culturelle et les velléités d’hégémonie alimentent insidieusement les conflits culturels. Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme pensait justement qu’exploiter la différence culturelle en sa faveur pour nuire aux autres ou les vilipender, constituerait non seulement une offense à la personne humaine universelle, mais aussi l’une des plus grandes bêtises de l’homme moderne. C’est pourquoi il écrit que « Le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l'entre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête ».
Argument 2 : Essentiellement, les cultures n’ont rien de conflictuel. C’est ce que pense Karl Marx qui estime au contraire que c’est la dynamique antagoniste de rapports de production, au fondement des classes sociales, qui génère les contradictions qui, à leur tour, causent des conflits sociaux.
Argument 3 : La fragmentation sociale sur la base des spécifications culturelles est corrosive à l’édification de véritables États-Nations. A cet effet, Eric Fattorine, dans Besoin d’Afrique, disait qu’« On ne battit pas une société sur des isolements, il faut un minimum d’horizon commun ».
Argument 4 : Le rejet de l’autre est réalité auto-rejet dès lors qu'on admet que nous avons tous la même humanité, la même dignité. Tel est le sens du message de Lévi-Strauss, pour qui « Le barbare, c’est l’homme qui croit à la barbarie »
Argument 5 : Ce sont aussi les velléités hégémonistes et expansionnistes de certaines cultures qui donnent à penser que la diversité des cultures est un acide dissolvant de la cohésion sociale. Les dérivées frondeuses et belliqueuses de certains peuples ont souvent fait penser à une finalité guerrière dans les rapports entre entités culturelles (tribales on ethniques) différentes, au point où on n’hésite pas à lire la figure des sociétés modernes comme celle d’un darwinisme culturel, à savoir le lieu où chacune d’elles se bat pour sa propre survie, en «consommant les autres pour survivre ».
Comme on peut le constater, ma citoyenneté/nationalité/humanité doit l’emporter sur mon identité qui n’est alors qu’une infâme partie de mon « tout humain » : en réalité, on n’est jamais citoyen d’une tribu, d’un groupuscule et on ne peut en être qu'un membre. En ce sens, la détermination du naître ne doit en aucun cas avoir de là préséance sur la promotion de mon être. La tribalité, par exemple, n'est donc pas un obstacle à ma citoyenneté voire à mon humanité.
Transition : Si la diversité culturelle n’est pas en soi une source de conflits entre les hommes, Comment peut-on réussir une cohabitation heureuse entre les cultures ? Comment les dérives naturelles générées par la diversité culturelle peut-elle être jugulée en vue d’assurer à nos États et à notre humanité contemporaine décadente un passage harmonieux de l’hétérogénéité à l'homogénéité ?
III.3 Synthèse : diversité culturelle et enrichissement : positiver l’altérité et la diversité
Argument 1 : Tout part du principe d'égalité biogénétique entre les hommes. Selon Louis de Jaucourt, cette égalité «est fondée sur la constitution de la nature humaine commune à tous les hommes, qui naissent, «unissent, subsistent et meurent de la même manière » et « la nature humaine se trouve être la même dans tous les hommes ». Il n'y a qu'une race d'hormones : l'homo sapiens et les spécificités culturelles constituent ce qu’Aristote appelle des « accidents » et n’altèrent t nullement notre nature humaine commune. Toute action doit se fonder sur une idée générale de l'espèce humaine, qui soit la même dans toutes les cultures. Aussi devons-nous, comme nous y invite Noam Chomsky, revendiquer “le droit à l'universalité".
Argument 2 : L'idée de l'égalité culturelle dans la différence est un principe qu'il faut promouvoir par l'éducation et faire vivre dans les esprits comme conviction. Le « Contrat Social » signe la formation d’une véritable « identité collective » qui produit une sensibilité à toute agression contre le corps social, et une solidarité par laquelle chaque citoyen dilate son « moi » aux dimensions d'un « nous ».
La perspective d’une coexistence multi grégaire et l'exigence citoyenne d'une conscience nationale intégrative sont-elles en soi opposées ? Claude Lévi-Strauss, dans Race et Histoire appelait à préserver la diversité culturelle dans un monde menacé par la monotonie et l’uniformité. La tolérance impose de se situer dans une posture réceptive et objective, puisque, dit-il, « la diversité des cultures est derrière nous, autour de nous et devant nous [et doit être] une manière de construire l'humain ».
Argument 3 : Il faut construire l'homogénéité à partir de l’hétérogénéité. Telle est le défi lancé par Kant dans son Projet de paix perpétuelle et qui invite à faire passer les cultures du mode de la «cacophonie » à celui de « l'unisson », pour finalement arriver à la « symphonie », comme dans le cas d’une chorale où le maître de cœur a réussi à fusionner les voix tout en faisant garder à chacune d'elle sa particularité. Construire l'unité dans la diversité, tel fut le pari de l'ancien président tanzanien Julius Nyérété qui se donna le défi de construire un socialisme modèle tanzanien (socialisme Ujamaa) sur la base de la multiplicité des tribus présentes dans le pays et dont il en explicita la forme dans son ouvrage Le Socialisme africain. Il faut ici encourager et favoriser des initiatives politiques et socioculturelles, à un moment où nos pays subissent des agitations diverses, et où des atteintes à l'harmonie collective s'expriment activement. La création au Cameroun, en 2016, de la commission nationale du bilinguisme et du multiculturalisme est un engagement des autorités de la république en faveur de la diversité culturelle, de la tolérance et du respect de la différence. La réflexion éducative doit se soucier de construire et de renforcer la diversité culturelle à travers une meilleure prise en compte des identités culturelles nationales. Il faut développer une symbiose entre les peuples et les cultures. C’est d'ailleurs ce qui justifie les politiques nationales d'équilibre régional dont le but est de ne léser aucune communauté dans la distribution des privilèges nationaux.
Argument 4 : Le principe des «échanges culturels » ou des «dialogues interculturels » est à en visages. Du moment où, comme le disait Cheikh Hamidou Kane, dans L’Aventure ambiguë « L’ère des destinées singulières est révolue.» et où aucun peuple ne sautait encore vivre de la seule préservation de soi, il faut rentrer dans la dynamique des échanges enrichissants. Senghor plaidait déjà pour l'avènement d’une « civilisation de l'universel »., « rendez-vous du donner et du recevoir». Au Cameroun, n’avons-nous pas tous, à l’époque de la réunification, la construction du pont sur le Moungo, comme symbole fort d’ouverture, d'échange et de brassage multiculturel qui, au-delà de nos différences respectives, nous a fait voir l’intérêt et les avantages qu'il y a à vivre et à mutualiser avec les autres ?
Argument 5 : Toute culture oscille entre évolution, mutation et transformation. Telle est la goutte de vérité contenue dans l’évolutionnisme d’un Herbert Spencer et qui se dégage aussi «de l'œuvre monumentale de Marcien Towa, Identité et transcendance. Ces auteurs ont en commun l’art de monter que toutes les cultures sont dans une dynamique instable qui le soustrait à l’authenticité, à l’immobilisme et qui les rend disponible aux enrichissements. Ainsi, en mettant en garde contre toute dilution ou tout ostracisme culturel, A. Césaire souligne, mon sans raison, dans Discours sur le colonialisme, que « Toute culture est un mélange d’éléments effroyablement hétérogènes ».
Argument 6 .L’homme, être d’amour et de penchant pour autrui, son semblable, a en lui de quoi faire violence à la violence, de quoi anéantir les velléités belliqueuses que Freud et Lorenz ont crues naturelles en lui : C’est la culture. C’est en pourquoi d’ailleurs qu’on parle d’une culture de la paix dans un sens où il développerait comme des anticorps susceptibles de combattre les dérives humanistes telles que la xénophobie et toutes les formes d’individualisme. Dès lors, on peut dire que la culture, la vraie, élève l’Homme vers l’idéalité, soustrait des contingences du monde sensible de Platon comme lieu de la doxa et du vulgus.
Argument 7 : Dans Eloge de la différence, Albert Jacquard fait justement l'éloge de l’altérité qui doit se voir comme une promesse de bonheur, un appel à la communion, à la fraternité, à l’amour, au sens où le message chrétien invite à aimer notre prochain comme nous-mêmes. C’est pourquoi Marc-Aurèle pense que « Le propre de. L’homme, c’est d’aimer même ceux qui l’offensent ». D’où, l’impératif catégorique ultime de Kant : « Agis toujours de telle sotte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta propre personne que dans la personne d'autrui, toujours et en même comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Ainsi, l’ancien président camerounais se plaisait à dire que l'unité nationale signifie qu’il n'y a sur le chantier de la construction nationale, ni bassa, ni bamiléké, ni Béti, etc, mais des camerounais.
L’universalité du genre humain commande donc que les hommes, qui qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, bénéficient des mêmes égards et de la même bienveillance. L’égalité est ainsi le principe séculier de l’État et de toute république digne de ce nom.

IV. Conclusion
Notre réflexion s’est évertuée à analyser et à apprécier la valeur de la diversité culturelle. Sans nier le fait que la diversité est un écueil à notre volonté de vivre ensemble en harmonie, il serait tout de même excessif d’assimiler celle-ci à un facteur limitant de l'harmonie sociale. En réalité, la pluralité des cultures est un élément à capitaliser dans la volonté de construction d’une véritable société du bien vivre ensemble qui se départisse des velléités d’exclusion et de repli identitaire, causes d'inertie, pour s'inscrire résolument dans une dynamique de symbiose, de cohésion et de mutualisation. Les différences entre les hommes doivent se vivre comme des sources d'enrichissement pour une société unifiée et cohérente, pour autant que, selon St Exupéry, « si tu diffère de moi, loin de me léser, tu m’enrichis ». C’est au final la dialectique du général et du particulier, de l’un et du multiple, du << nous >> et du << eux » qui se trouve engagée comme réponse aux conflits sociaux, «dans une dynamique de communion avec les autres, dans la franchise, la tolérance, la sincérité et le pardon.